Pourquoi je boycotte le dispositif gouvernemental de remboursement par la Sécurité Sociale MonPsySanté
Ce que l'on nous présente (en rouge) et la réalité de notre profession (en noir):
- Le dispositif MonPsySanté est présentée comme "l'une des mesures phares annoncées par le président de la République" lors des Assises de la santé mentale qui se sont tenues en 2021
Ce dispositif doit se mettre en place au printemps 2022 :
"La santé mentale constitue l’un des enjeux majeurs de santé publique de notre époque et sa prise en charge une priorité du Gouvernement."
Plutôt que de renforcer les structures publiques de soins, où la gratuité existe pour les soins psychologiques, le gouvernement poursuit le démanèlement des services publics en proposant cette pseudo gratuité en libéral.
Sous prétexte d'une amélioration pour les patients, le projet de loi n'est qu'une nouvelle étape dans le démantèlement des services publics.
La gratuité des soins psychologiques existe déjà, dans les CMP (centres médico-psychologiques), mais il faut souvent attendre longtemps pour obtenir un rendez-vous et les places se retrouvent de fait réservées aux cas les plus graves.
Ce problème est dû au manque chronique de moyens de la psychiatrie, où les faibles effectifs de psychologues, auxquels ne sont en général proposé que des quart temps, ne permettent pas de répondre à la demande.
Plutôt que de recruter et renforcer les services publics existants, le gouvernement préfère transférer sa responsabilité sur les psychologues libéraux, tout en les dévalorisant, culpabilisant et appauvrissant. Où est le bénéfice pour le patient là dedans ?
D'autant que le remboursement proposé ne sera en réalité pas supérieur à celui des mutuelles.
Juste plus difficile à obtenir puisqu'il faudra passer plusieurs fois par son médecin généraliste pour obtenir une ordonnance.
La méthode n'est pas nouvelle : on commence par enlever des moyens aux services publics, puis on constate qu'ils ne fonctionnent pas bien, alors on les supprime et on délègue au privé.
- "Cette mesure doit permettre d’améliorer l’accès aux soins en santé mentale, dans un souci de lutte contre les inégalités en santé, en permettant aux psychologues de ville de s’inscrire dans le parcours de soins des patients en souffrance psychique d’intensité légère à modérée."
En cas d’existence ou d’apparition de troubles plus sévères, le patient doit être orienté vers des soins plus spécialisés (orientation vers un psychiatre)
Une souffrance psychique d’intensité légère à modérée : cela signifie notamment que les patients ne doivent pas avoir pris de médicaments psychotropes dans les mois précédant la prise en charge. La majorité de mes patients sont sous antidépresseurs et/ou anxiolytiques voire neuroleptiques. C'est à dire que ces patients ne pourraient de toute façon pas bénéficier de ce dispositif et qu'ils devraient même être adressés à un psychiatre avec un risque de surmédicalisation en totale opposition avec notre objectif.
Monsieur Véran semble penser que les psychologues ne sont capables de prodiguer que des soins de confort et se méprend complètement sur le type de public que nous recevons.
Sa connaissance de notre métier relève de la caricature du psychanalyste vu à la télé qui dort ou fait sa liste de courses pendant que son patient lui raconte gentiment sa journée.
La réalité est tout autre. Mon quotidien est fait de récits de maltraitances de tous ordres : violence sur enfants, conjugale, institutionnelle, harcèlement, inceste, traumatismes, épuisement moral et physique, scarifications, idées suicidaires, dépression, anorexie mentale, problèmes d’addiction, relations d'emprise… et mon travail ne consiste pas à écouter d'une oreille distraite. Si nos séances durent entre 45 minutes et une heure, c’est parce que c’est le temps nécessaire. Pas parce que nous bavardons avec nos patients. Réduire ce temps et recevoir des patients à la chaîne c’est évidemment nuire au patient lui-même qui mérite d'avoir face à lui un professionnel disponible mentalement.
- Le nombre de séances réalisé sera adapté aux besoins du patient, dans la limite de 8 séances. Les tarifs seront de :
- 40 euros pour une première séance permettant la réalisation du bilan initial (Pour cela le patient doit donc aller voir une première fois le médecin pour une prescription. De son côté, le psychologue doit transmettre au médecin un compte rendu de ce bilan initial : adieu la confidentialité)
- 30 euros pour les 7 séances de suivi (Le patient doit retourner voir son médecin pour une nouvelle prescription de sept séances).
A noter que depuis la crise du covid, les mutuelles remboursent au moins 4 séances par an, jusqu’à 60 euros par séance.
Le gouvernement se propose de rembourser 30 euros par séance pour 8 séances. (18€ sécu, 12€ mutuelle) : aucun changement pour les patients si ce n’est des complications supplémentaires puisqu’ils devront passer par leur médecin pour une prescription. Un changement notable pour les psychologues qui verraient leur rémunération divisée par deux.
- Seules les séances réalisées dans le cadre du dispositif national (c’est-à-dire, sur adressage d’un médecin et réalisées par un psychologue conventionné avec l’Assurance maladie) feront l’objet d’un remboursement. Ces séances ne pourront pas faire l’objet de dépassement d’honoraires.
Les tarifs des psychologues vont de 50 à 80 euros en moyenne selon les régions, rémunération à laquelle il va devoir soustraire les charges professionnelles.
Mais rares sont les psychologues riches. La plupart partagent d’ailleurs leur temps entre le libéral et un temps partiel en institution, pour ne pas être trop isolés, avoir une sécurité salariale et un revenu correct. Cette tarification indécente de 30€ bruts (avec 40 à 60% de charges professionnelles) ne permettrait aux psychologues libéraux que de gagner un peu plus que le SMIC. Pour une profession avec un Bac +5 minimum, cela n’est pas entendable.
Pour pallier cette baisse de revenus, le ministre de la santé nous propose de faire des séances plus courtes. Peut-on faire plus explicite déclaration de méconnaissance de notre métier ? Avec cette logique d'abattage, il nous propose un dispositif maltraitant à la fois pour les patients et pour les psychologues.
Notre métier nécessite d’avoir le temps d’être vraiment disponible, à la fois physiquement et intellectuellement et moralement. Nos patients ont besoin de sentir qu’ils ont le temps, de se poser, d’être entendus, de faire confiance, de se livrer. Le temps est ce qui permet la révélation d'un secret, d'une parole refoulée, d'une détresse inexprimée…
C'est ce même temps qu'une logique comptable cherche à rentabiliser dans les services de psychiatrie (où l'on sait l'importance des temps informels) en pratiquant une médecine à l'acte en contradiction totale avec le sens de cette discipline et au détriment des patients.
Monsieur Véran qui prend les psychologues pour des nantis et des profiteurs, déclare que nous vivons très bien de notre métier en proposant des tarifs trop élevés, que nous ne sommes pas obligés de faire des séances d’une heure et que le ministère n’a de toute façon besoin que de 3000 psychologues pour leur dispositif.
Quel est l'intérêt de cette stratégie délétère qui consiste à monter les catégories sociales les unes contre les autres et à créer du conflit ?
La profession de psychologue est l’une des plus précaires pour ce niveau d’études (bac +5) en France. Certains psychologues libéraux vivent convenablement de leur travail mais ils sont loin de pratiquer des tarifs indécents qui surpassent ceux des psychiatres (lesquels sont autorisés aux dépassements d'honoraires). Quant aux psychologues hospitaliers qui sont donc salariés, les grilles n’ont pas été revalorisées et beaucoup gagnent moins de 2000€/mois net.
Pour référence, les consultations des sage-femmes coûtent entre 33,60 et 42 euros, celles des psychiatres 43,70 euros...et un massage de 30 mn par une esthéticienne, 50 euros !!!
Le gouvernement, relayé par certains journalistes qui ne vérifient pas leurs informations, nous explique qu'une expérience préalable à été réalisée dans 4 départements : les Bouches du Rhône, la Haute Garonne, les Landes et le Morbihan.
Ce qu'ils omettent de préciser, c'est que seuls 5 à 6% des psychologues ont accepté de participer à cette expérimentation. J’exerçais moi-même dans le Morbihan à cette époque et j’ai assisté à une des réunions d’information préalables. J’ai toujours été favorable à un remboursement par la Sécurité Sociale. Mais j’ai refusé de participer à cette expérimentation dont les conditions étaient déjà inacceptables. Les séances devaient être rémunérées à 22 ou 32€. Les dépassements d’honoraires étaient interdits.
Lors de la réunion d’information, on nous avait expliqué que le montant choisi pour le remboursement avait été calqué sur la rémunération des psychologues hospitaliers.
Selon leur calcul, avec des séances de 30 minutes, pendant 7 ou 8 heures par jour, nous aurions une rémunération équivalente et même supérieure. Mais il faut savoir qu'un psychologue hospitalier n’enchaine pas les entretiens comme le fait un psychologue libéral. Il alterne entretiens, réunions, activités thérapeutiques, temps en équipe et peut ainsi travailler 8 heures d’affilée sans craindre pour sa propre santé mentale.
L’étude prévoyait déjà des soins à 2 vitesses en proposant 2 types de thérapies : thérapie de « soutien » (22€ pour 30 minutes !) et thérapie « structurée »(32€ pour 45 minutes !). On nous a d'ailleurs expliqué que dans d’autres pays, les psychothérapies pouvaient être réalisées par des infirmières, et autres travailleurs sociaux moins formés.
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